Protection du paysage et ressources hydrauliques

Autor/in: 
René Longet, Président d’equiterre, partenaire pour le développement durable

 

 

Les forces hydrauliques sont une des ressources principales de notre pays, et pour les cantons de montagne un élément qui non seulement structure les identités mais leur économie. L’eau, la loi fédérale sur la protection des eaux le rappelle bien, est un bien commun à usage multifonctionnel. Vitale, elle sert à nos usages personnels, à notre alimentation, à notre hygiène, à l’économie (industrie et agriculture). Elle sert de biotope, pour une riche flore et faune aquatique, que ce soit directement dans le milieu liquide ou dans les zones humides de transition, qui sont parmi les biotopes les plus riches de nos régions. Elle sert d’attrait touristique: des eaux libres, à admi-rer, des eaux de baignade et pour le sport, des eaux pour la pêche… ces fonctions sont autant de ressources pour l’économie régionale.

L’eau est également une composante de l’identité culturelle et a sculpté non seule-ment nos paysages mais accompagné notre histoire. L’histoire du Valais a été l’histoire de la maîtrise de l’eau. Des générations courageuses et anonymes ont été chercher l’eau à travers de multiples périls et ce fut l’aventure cruciale des bisses. Puis au XIXe siècle, on a séparé, au fond des vallées et plus singulièrement de celle du Rhône, la terre et l’eau, permettant aux routes et chemins de fer de courir en parallèle aux eaux désormais sous contrôle, et aux populations et aux cultures de descendre des collines. Enfin, dès la fin de ce même siècle, l’électrification du pays a eu son origine dans la création de nombreux et très vastes retenues et barrages sur les hauts des montagnes.

Un moment donné, on rencontre comme en toute chose des limites. Un jour, on veut vendre de l’électricité et du paysage, et on se retrouve en concurrence. Plus d’eau dans les lits des rivières, plus de vie dans l’eau, plus de cascades, plus de pêche et de baignade. Car on a vendu l’or blanc, précieuse énergie renouvelable. Voici une vingtaine d’années, de courageux pionniers ont trouvé la solution à ce dilemme: vendre non pas du courant seulement, mais du paysage, des biotopes. Recevoir une juste rémunération pour ce service-là, ne pas être contraint de presser la dernière goutte d’eau, être payé au juste prix pour laisser l’eau libre de satisfaire ses nombreuses fonctions.

Cette solution, c’est le centime du paysage. Imaginé et pratiqué aux Grisons, il a franchi désormais le Gothard et pris pied en Valais. De quoi s’agit-il? Par des con-trats passés entre des communes et la Confédération, représentée par l’OFEFP, 18 communes des Grisons et du Valais donnent corps à l’idée d’un développement durable. Il s’agit de satisfaire ensemble les exigences du développement écono-mique et social, d’une vision culturelle et du ménagement des ressources de la nature. Il ne s’agit donc pas d’une opération style parc national lequel offre la symétrique inversée de la réalité usuelle, en ce sens que ce n’est plus l’Homme mais la Nature qui y domine. Ce qui en certains lieux peut tout à fait se justifier.

Cependant, ici il s’agit d’une recherche dynamique d’équilibre, dans le but de consolider des bases d’existence de l’économie locale et de ses expressions culturelles, et de maintenir des débits minimum dans les cours d’eau. Cette perspective s’inscrit bien aussi dans les programmes en faveur des montagnes du monde, comme notre pays les a lancés et encouragés notamment au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg en 2002. L’année de la mon-tagne, de 2002, qui a précédé l’année de l’eau, de 2003, a permis de mettre en valeur des concepts transversaux de développement régional, et l’idée du centime du paysage a été particulièrement bien accueillie lors de la conférence finale de l’année de la montagne tenue en automne 2002 à Bishek, en Kirghizie.

Notons encore le caractère solidaire de ce transfert de ressources, puisqu’il provient d’un prélèvement automatique de 0,01 centime par kWh d’électricité consommée. Ce n’est donc pas une charge pour les finances publiques, mais une inclusion, dans le prix du courant, du prix du paysage. Cette volonté d’aller vers la vérité des coûts est également une approche spécifique au développement durable.

Avec l’extension du centime du paysage à un 2e canton suisse de montagne, cette bonne idée fait non seulement ses preuves mais son chemin. Cet ouvrage veut marquer cette évolution, ce passage. Pour le bien de tous. Nous saisissons l’occa-sion de remercier les cantons des Grisons et du Valais, et les communes de Binn, Birgisch, Breil/Brigels, Gondo-Zwischbergen, Mörel, Mund, Naters, Simplon Village, Sumvitg et Vrin d’avoir permis par leur contribution la réalisation de la présente publication. Nous remercions également l’Office fédéral des eaux et de la géologie, Coop Bâle, et les fondations: Mava pour la protection de la nature, Madame Betty et Dr Rudolf Gasser et Jacques Bischofberger pour leur appui.

 

Genève, juillet 2004

Quelle: Buch „La Greina und Flusslandschaften im Wallis“, Schweizerische Greina-Stiftung (SGS), Verlag Bündner Monatsblatt / Desertina AG, Chur, 2004

 

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